X (nouvelle) – 2008

By 31 mai 2014Nouvelles

Je sentais bien que ma chance allait tourner, mais je n’avais aucune idée du sens. Je commençais à m’habituer à ces publications graveleuses dans les dernières pages de revues cochonnes, mais mes textes avaient de plus en plus l’ambition du roman.

Je m’étais déjà convaincu qu’il n’y avait que des tremplins, que la littérature de charme pourrait déboucher sur mieux. Qu’un éditeur, lubrique mais bien placé, me remarquerait.

Il y avait eu des exemples de romancier, à la plume suintant les fluides corporels, à passer leurs dernières années à se faire payer des billets d’avion pour 45 minutes de lecture face à des universitaires. Ils s’étaient fait remarquer, en somme, par les fluides.

J’avais donc des aspirations au classique, mais par le genre. Convaincu qu’il y avait des passerelles par la littérature des fluides, j’arriverai à Faulkneriser ou à Kafkaïser mes histoires. Car tout était là, à ma portée : les tournures, le style, la profondeur… Je n’avais pas à beaucoup piocher pour extraire des pépites syntaxiques, à tamiser la rivière des mots pour en offrir les plus brillants, emballés dans des phrases pleines d’envergures, loin des boursoufflures de mes plus mauvais comparses.

Je sentais mon heure venir, et je sentais qu’elle durerait le restant de ma vie. Il ne me restait plus qu’à me débarrasser de mes tics.

Depuis bientôt cinq ans dans le porno, je sentais des automatismes parasiter mes textes.

J’aimais me spécialiser dans le détournement des œuvres majeures, sans que mes lecteurs ne s’en rendent nécessairement compte. Je ne doutais pas que certains d’entre eux aient lu les grands auteurs, avant ou après s’être vidé la tête dans un mouchoir face à mes nouvelles. Peut être voyaient ils là le pendant coquin qui manquerait à Rousseau et Giroud ; coquin ou même un peu trash : ma Bovary se baladerait facilement avec des boules de Geisha, Raskolnikov serait châtié pour avoir sodomisé à mort la prêteuse sur gage de Dostoïevski, et K aurait organisé un gang bang avec l’assistante de son avocat en compagnie des jurés de son Procès.

Cette fois ci, allongé sur le matelas à sommier de ma chambre mal décorée, je cherchais ce qui avait pu se passer au plus profond des mines, entre deux coups de pelle et deux coups de plume, alors que Zola écrivait Germinal.

Mon colocataire fumait du hash, deux pièces plus loin, en matant un Tati.

Je me forçais à m’isoler une petite heure par jour. Voilà ce que la vie me devait pour l’exercice de mon art : une heure par jour. De quoi couler trois ou quatre pages de salacités bien agencées, mais aussi juste ce qu’il fallait pour ne pas me plonger dans cet état de lubricité que mon célibat endurcit entrainait.

« Laisse moi tenir ce manche, il est trop lourd pour toi Lantier… »

Et hop, retourne toi que je pioche.

J’écrivais avec des bics de mauvaise qualité depuis la primaire. Mais celui avec lequel j’officiais ce jour là m’allait parfaitement : rond, avec une sorte de mousse agréable à la prise, il me laissait le répit nécessaire à ma tâche. Voilà pourquoi, et comment, je me suis retrouvé à jeter un œil sous mon lit, alors que je venais de l’y expédier par accident. Mon sommier était en acajou je me disais. Deux places à demi occupées, et énormément de choses en son dessous : des magasines, des K7 audio, trois ou quatre stylos à bille, Heliogabale d’Artaud que je devais à la médiathèques depuis plusieurs semaines, et mon stylo mousseux. Et de la poussière.

Je n’avais pas eu le temps de m’emparer du stylo qu’un éternuement me souleva tout d’un coup. Mon dos heurta le sommier par le dessous, et je sentis que le lit se soulevait trop facilement. Léger comme un plateau de fromage déserté par les vers. Intrigué, je poussais d’une épaule ce qui devait s’avérer être une trappe. Une trappe sous un lit, voilà qui aurait dû, avec le recul, m’encourager à m’en retourner fumer avec mon coloc’ la weed poussée chez ma mamie. Mais, par trop intrépide, je décidai de l’ouvrir. Je pensais que mon matelas allait simplement me glisser sur les mollets, mais rien de tel. Un chiffon se présenta, propre à première vue, mais définitivement d’un temps jadis. Là encore, et avec le recul, j’aurai du…

Il faisait parfaitement noir dans le coffre à tissus et torchons où j’étais en train de pénétrer. A genoux sur le sol, j’étais tout droit et le cul dans la trappe.

Objectivement, je venais d’entrer dans mon matelas en mousse, tout entier sauf les jambes, et je respirais de vieux chiffons lavés au savon bavarois. Des senteurs droit importées de chez ma grand mère Gertrude.

Il y avait donc des murs et un plafond à cette caisse de tissus. Le plafond, arrondi et incurvé, s’ouvrait aussi avec simplicité. Rien ne semblait m’empêcher de regarder dehors. D’un œil hésitant entre le bonjour et l’au revoir, j’aperçus des étagères encombrées de paperasse encadrant une porte. Au sol, un carrelage sali de traces de pas et de paille. Avec cette vision me vint tout à coup une odeur de cheval de mer.

Puis une voix s’est élevée avec force sévérité. De l’Allemand non scolaire auquel je n’entrava rien. Le phrasé était long et assassin, comme l’hurlerai un alcoolique au téléphone. Son agonie se ponctua par l’explosion d’un piano. D’abord une explosion matérielle, comme une porte violemment fermée ajoutée à un lâcher de caisse à outils sur les cordes d’un piano à queue. Puis une nouvelle explosion vocale, mobile cette fois ci, se rapprochant, même, et franchissant finalement la porte que j’avais en visu. Je refermais le plafond et me tins coi. Coi, coi, coi. La dernière chose que je voulais, c’était subir les foudres du vieil allemand caché dans mon matelas.

Je l’entendis d’abord déposer un objet à ma gauche. Il était juste à mes côtés. Je l’entendais respirer très fortement. Il fouillait au sol, remuait des feuilles et des livres, probablement. Tout à coup, il lâcha, en substance, un large « Woides jünge sheiss flatt ».

Lorsque le piano se remit en exercice, je compris que le vieil homme était non seulement accompagné, mais qu’il donnait des cours à un élève assez mauvais, qui en était tout du moins à ses débuts. La fouille stoppa nette à ma gauche ; nous écoutions ensemble, avec attention, les ondes s’installer dans la pièce. Un objet se ramassa sur ma gauche. Des notes familièrement mal jouées me rappelèrent l’hymne de la Ligue des champions. Le tournoi de football. C’était forcément ça !

Mais alors que foutaient un vieillard et un jeune crétin, se tripotant les touches au diapason d’un chant de supporters, dans mon matelas ?! Bordel !?

J’avais presque envie de me manifester, mais mon élan fût nettement coupé lorsque le vieillard souffla et répéta la phrase susdite. Il se leva, prenant appuie sur ma tanière en bois et en tissus, et traversa la pièce. J’en profitai dès lors pour entrouvrir à nouveau le capot de ma cachette : je le vis s’approcher du pianiste, doucement, tendant une corne vissée dans son oreille, comme si l’on n’entendait pas assez fort cette piètre démonstration.

J’ai alors commencé à me poser des questions à propos de la mode, du temps qui passe, mais aussi à propos de la relativité et de la physique quantique. Je fus bien sûr tout juste traversé. Je me repris d’ailleurs de raison, me revoyant déguisé en dinosaure ninja, ce fameux soir de nouvel an.

Car voilà, devant moi, se pavanait, maladroitement, un échevelé bien et mal habillé : des apparats début 19ème siècle, totalement déglingués, un sonotone en corne de gazelle et sa coiffe ébouriffée le plaçaient en tête de gondole d’un carnaval difficilement contextualisable.

Il s’était arrêté dans l’embrasure de la porte et tendait sa corne en direction du piano. Assise, petite, les pieds ne touchant pas le sol, une gamine, ou un gamin, s’emmêlait douloureusement les phalanges. Ses longs cheveux et sa veste, du même acabit que celle du vieux, trahissaient une véritable ambigüité sexuelle. Je lui sentais de fondamentales hésitations et une peur du futur proche.

Le vieillard, toujours derrière, recrachât sa phrase et déboula finalement sur l’instrument, dégageant d’un seul grincement l’élève et le tabouret. Il pianota fiévreusement l’exercice imposé, mais avec des tierces, quintes ou je ne sais quoi qui rendirent à Mozart ce qui était à Mozart : l’Hymne à la joie. C’était en fait l’Hymne à la joie. Un frisson me traversa l’hypothalamus.

La porte grinça aigue et nous sépara à nouveau, ne laissant plus que le son parader dans la pièce.

Je pus alors sortir discrètement du coffre, et, comme une langue de caméléon, je me mis à glaner des papiers au sol, pour récupérer une preuve de mon passage, sans vraiment y réfléchir. Mais la musique stoppa et le tabouret grinça à nouveau. Je repris place en catastrophe dans le coffre à linge qui siégeait au beau milieu de la pièce. J’avais en main une liasse que le vieux avait posée à côté de la caisse quelques instants auparavant. Silencieux à nouveau, à l’envers, dans le noir, j’écoutais la porte s’ouvrir et la même démarche se rapprocher. Son souffle de fumeur de pipe et un grognement animal me paralysèrent comme une taupe dans un terrier de renard. Je venais de faire une bêtise évidente, et n’avais pas d’autre solution que de m’éclipser au plus vite.

Les pognes en gants de manchot, il se mit à marteler la caisse. Moi je soulevais des mètres et des mètres de linges pour atteindre le fond. Je l’entendis faire le tour de la pièce, se cognant à la caisse comme un papillon de nuit à un néon. Il grogna d’un allemand malheureux et dépité.

Sentais-je poindre de la culpabilité ? Je craignais trop pour ma peau pour penser, logiquement, à lâcher les papiers volés, et juste disparaître.

Le coffre s’ouvrit au dessus alors que j’ouvrais moi même la trappe. Je ne savais plus si, choisissant la sortie du bas, je vivrai un second accouchement, ou si le bras spéléologique du pédiatre, tentant de m’arracher à l’imbécile quiétude du monde tel que je le connaissais, n’était qu’un simple rêve.

Je me trainais jusqu’au sol, sous mon lit. Quand sa main m’effleura les cuisses, je fis des bruits peu virils, de type gloussements de jeune fille. J’agrippai alors un vieux manuscrit à moi qui trainait, et l’enfournai dans l’étau de ses doigts. Il se figea. Puis l’hameçon remonta à la surface. Je tendis à mon tour le bras afin d’attirer la trappe sur moi. Un charabia glaçant me secoua, comme le môme de sept ans à qui l’on demande de descendre à la cave chercher des patates rissolées surgelées.

Je refermai avidement la trappe. Sous mon lit, mêmes éléments que trente minutes auparavant. J’étais sur le dos, main gauche plaquée sur la trappe, bras droit écrasé dans la poussière, visage crispé, les pommettes par dessus les yeux et les sourcils dans les cheveux.

Après tout ce chemin, je n’étais même plus certain de pouvoir me hisser hors d’ici, et pourtant je craignais que l’énorme pince de fête foraine ne m’attrape comme une peluche sans vie. Après une minute d’inertie, je me décidai à reprendre possession de mes facultés musculaires et jetai un œil prudent par dessus mon matelas : rien qu’une couette en boule. A la tête de mon lit, un poster du catcheur Hulk Hogan me dénonçant du doigt, comme pour me rappeler que je ne suis qu’un fieffé voleur.

Je scrutai l’ambiance sonore, pas d’allemand, ni de piano, juste une standardiste disant « prenez la ligne » au milieu de bips et de pouêts extraits de Playtime.

De nouveau sur mon lit, je pus enfin défroisser les papiers volés et mon cœur s’emballa. C’était une partition. Incomplète. Le début lui manquait, et une croix, un “X“ dominait le tout. Je pensais d’abord que ça n’avait pas de nom, puis me rendis à l’évidence : c’était un dix en chiffre romain. Je parcourrai les quelques pages, et toutes étaient signées d’un “B.“.

Je me dis que la connerie que je venais de faire était probablement plus grosse encore que je ne le croyais.

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