Les érections ep 5/6

By 3 avril 2020Nouvelles

– Putainputainputainputain… Xavier balayait la pièce du regard, découvrant que bon nombre des objets qu’il avait créés avaient disparu.

Des douleurs successives le secouaient : dans son ventre un moteur semblait démarrer et caler à plusieurs reprises ; ne sachant pas exactement ce que Lise avait « rangé », le processus de création avait l’air de s’enrayer, comme une impossibilité d’organisation. Xavier grognait de douleur en fouillant le salon et la cuisine. Il ouvrait placards et tiroirs à la recherche de ce qui avait pu être rangé, caché, dans la poubelle ce qui aurait été jeté. Il craignait un malheur. Que se passerait-il si tous les objets disparus se manifestaient en même temps ? Retrouvant un sac plastique rempli de ses télécommandes et stylos, les douleurs se calmèrent un instant puis recommencèrent. Ses intestins crissaient et glougloutaient, une pression plus forte que jamais s’effectuait dans son entrejambe. La tête lui tournait, il se dirigea vers la chambre, où Lise semblait n’avoir heureusement pas mis les pieds. Ainsi il retrouva un semblant de concentration et tâcha de contrôler sa respiration. A bout de nerfs, il se hissa à genoux sur son lit et s’y laissa tomber en position fœtale, fermant les yeux qui lui brûlaient les orbites. Il s’imaginait la somme de tous les objets du salon se transformer, dans son ventre, en une seule et même agglomération, monstruosité digne d’un film fantastique des années 50, qui sortirait en lui déchirant le bas ventre. Sa création ultime ! Peut-être même était-il destiné à donner naissance à pareille abomination, celle qui détruirait l’environnement. Car c’était lui, lui le produit de l’apocalypse capitaliste, le Frankenstein du néo libéralisme exacerbé, lui le véritable, l’authentique fils de l’homme ! Lui… Xavier s’endormit.

­

Lise découvrait la grande ville ; elle tâchait de l’apprivoiser avant de s’y installer. Elle avait vécu dans un village sans histoire, découvrant elle aussi la vie à travers la télévision et les livres. Comme toutes les adolescentes, elle s’était sentie incomprise, s’enfermant de longues heures dans sa chambre, sautant des repas ; sa mère l’avait très tôt diagnostiquée anorexique, mais là n’était pas exactement le problème. Peut-être mangeait-elle trop peu, probablement était-elle plutôt maigre, et le fait qu’elle mesure presque 1 mère 65 ajoutait forcément à la disproportion. Mais la partie de son anatomie où Lise concentrait depuis quelques semaines son énergie était difficile à évoquer avec qui que ce soit. Echouées entre 12 et 14 ans, toutes ses copines commençaient à évoquer la masturbation et les prémices d’une sexualité dès la première récréation de la journée. Lise avait ressenti des modifications anatomiques qui l’empêchaient de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre que son clitoris. Elle avait commencé à maîtriser cet instrument avec une grande délicatesse avant de se rendre compte qu’elle avait besoin de plus : ses doigts ne suffisaient plus, il fallait ajouter quelque chose. Elle sentait que son vagin s’ouvrait de plus en plus à mesure que le désir se déployait. Quand elle s’aventurait plus profondément, elle avait l’impression que sa chair l’empêchait de récupérer ses doigts tant qu’il n‘y avait pas eu un coup d’éclat – pas encore identifié comme un orgasme.

Elle avait entendu parler des vibromasseurs et autres sex toys hors de portée financière, et elle avait suivi les conseils d’une copine et utilisé une carotte. Mais alors qu’elle sentait monter en elle une chaleur violente et des frissons dans tout le corps, elle perdit le contrôle de ses mouvements et la carotte disparu dans son vagin. Prise de panique elle enfouit ses doigts, mais elle ne trouva rien. La honte fut plus forte que ses craintes et elle choisit de n’en parler à personne, convaincue que le légume réapparaîtrait de lui-même. Mais les jours passèrent et rien ne sortit. Elle s’imagina des sucs destructeurs, comme un acide gastrique pouvant faire fondre tout ce qui restait longuement coincé dans son ventre.

Quelques semaines plus tard, c’est un stabylo qu’elle laissa échapper alors qu’elle venait tout juste d’atteindre un éventuel orgasme. La panique fut plus grande encore qu’avec la carotte et elle s’employa avec plus de méthode à le récupérer. En vain. Ce qui l’inquiéta plus encore était qu’elle avait senti une sorte d’aspiration : le stabylo ne lui avait pas seulement échappé, il lui avait été retiré des doigts, elle en était tout à fait certaine. Comme si la chair s’était refermée sur l’objet et l’avait aspiré dans une succion. Une fois encore, elle choisit de garder cela secret, et d’attendre quelques jours. Car si un légume pouvait se dissoudre dans son ventre, le plastique ne le pouvait en aucun cas. Et pourtant, les jours, les semaines passèrent, la fin de l’année scolaire arriva et avec elle le début des vacances, et le stabylo n’avait jamais refait surface.

Le mois de juillet allait se dérouler comme chaque année en famille, au bord de l’océan. Sa tante, sœur de son père, avait de sérieux problèmes financiers et ils avaient proposé de prendre Xavier, cousin de Lise, avec eux pour un mois.

Lise connaissait peu Xavier : il était discret malgré sa grande taille, et les quelques repas de famille auxquels il avait participé se déroulaient systématiquement dans un mutisme quasi complet de sa part ; airs moroses, sans étincelles. Lise, qui avait toujours été d’un naturel enthousiaste, faisait de son physique banal un atout humoristique, paradant d’une cape de second degré qui masquait à merveille sa timidité.

Les parents de Lise profitaient que les adolescents soient indépendants pour se fondre dans des vacances de quinquagénaires de classe moyenne qui s’imaginent en quadragénaires upper class : balade à cheval, ski nautique, casino…

Seuls, Lise et Xavier se levaient tard, mangeaient beaucoup, regardaient la télé jusqu’au milieu de l’après-midi, et profitaient d’une chute de quelques degrés en fin de journée pour aller se baigner. La plage semblait s’étendre sur des semaines de marche ; les dunes de sable en faisaient une bande quasi rectiligne que seuls quelques surfeurs foulaient, perpétuellement tentés par les vagues.

Xavier ne quittait son t-shirt que pour se baigner. Il avait la peau livide et tachetée de veinules violettes. Lise l’observait du coin de l’œil avec une compassion amusée. Elle le trouvait assez beau mais pas du tout sexy ; et si elle s’interdisait de penser à lui dans ces termes, elle voyait comment lui la regardait se déshabiller. Elle savait qu’elle avait des seins développés ; elle sentait que son corps changeait et atteindrait une forme adulte d’ici peu.

Tandis qu’elle s’allongeait sur le dos et plantait ses coudes dans le sable, Xavier se déshabillait et ajustait son maillot : un short noir à rayures orange sur les bords – peut-être un faux Adidas, qui terminait trop tôt sa course sur des cuisses maigres et blanchâtres. Elle regarda furtivement la bosse que formait son sexe et se détourna mécaniquement quand elle senti que Xavier l’avait vue faire. Rougissant, elle ne put décrisper un sourire alors que Xavier manipulait son maillot pour que la forme disparaisse. Elle rigolait intérieurement, pensant qu’il ne pourrait cacher une érection qu’en se mettant sur le ventre ; elle tira sur le haut de son maillot pour que la limite du bronzage descendit de quelques centimètres, s’allongea sur le dos et écarta légèrement les jambes jusqu’à sentir le bas de son maillot lui chauffer la peau. Elle simula un petit gémissement de plaisir et regarda Xavier, qui l’observait en coin tout en creusant un trou dans le sable ; elle imaginait que le trou allait servir de cache érection et pouffa en silence.

Des mèches de ses cheveux ondulés glissaient sur ses épaules comme de fines lianes qui auraient tracé leur chemin des années durant ; imperturbables.

Elle regardait Xavier de la tête aux pieds, faussement langoureuse, imitant Sue Lyon dans Lolita, lunettes en moins, une once de vulgarité en plus, quand elle crut voir quelque chose dépasser du maillot de son cousin : pourpre, épais et arrondi, ça ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait déjà vu. Elle détourna le regard : soit c’était une illusion d’optique, soit son cousin avait un sexe disproportionné. Gênée par la découverte, Lise fouilla dans son sac et en sorti une cigarette, qu’elle alluma avec inhabilité.

Xavier en profita pour se retourner et placer son sexe dans le trou. Ils gardèrent le silence quelques minutes jusqu’à ce que Lise plonge son mégot dans le sable.

– Dis t’aurais pas vu ma crème solaire ? Je crame !

Xavier resta immobile, regard fixé sur les dunes et les pins. Une très légère grimace lui rehaussa les pommettes et lui plissa le nez.

– T’as pas un tube de crème ? insista Lise avant de lui jeter un coup d’œil. Ça va Xavier ?

La respiration de Xavier s’accélérait. Amusée, Lise pensait que l’analogie sexuelle de la crème solaire était en train de se transformer en éjaculation incontrôlable.

Elle se prenait d’une pitié amusée pour le genre masculin quand un groupe de jeunes surfeurs passa tout près d’eux ; le plus blond s’arrêta un instant, hélant Lise d’une mèche qui lui fendait le visage :

– Salut ! Vzêtes d’ici ou vzêtes en vacances ?

Il planta sa planche dans le sable. La plage était infinie, comme les poils qui lui remontaient du pubis au nombril, tranchant avec son torse surdéveloppé absolument dégarni. Il regarda un instant le reste de son groupe qui ralentissait le pas à quelques mètres de l’océan. Se retournant vers Lise, il fixa un instant ses seins à peine cachés, puis pointa une vieille bâtisse dont seul le toit dépassait des dunes.

– C’soir on fait une teuf dans la maison qu’est là-bas. Lise était médusée, seul Xavier jeta un œil à la maison.Venez, on pourra faire connaissance.

Retirant sa planche du sable, le surfeur eu un léger mouvement de tête et souffla sur sa mèche qui remonta à la verticale avant de lui retomber sur le visage. Lise le regarda qui gonflait artificiellement les biceps avant qu’il ne s’adresse à l’océan :

– C’est une houle hawaïenne cette aprem ! J’vais m’la donner un peu.

Un instant plus tard il plongeait sous les premières vagues.

Lise resta hypnotisée par l’océan quelques minutes, ne sentant plus les gouttes de sueur qui lui coulaient sur le ventre, sous les aisselles et dans le dos.

– Tiens, ça va te faire redescendre de quelques degrés.

Xavier tenait un tube de crème solaire que Lise prit machinalement, sans même le regarder. Après quelques secondes, comme si elle s’était reformulée la phrase de son cousin, elle le toisa, sourire en coin, et lui asséna :

– Super drôle. C’est pas toi qui m’aurait fait chauffer comme ça, c’est certain.

Lise et Xavier échangèrent très peu jusqu’au soir.

­

Ils logeaient avec les parents dans un cabanon à trois chambres, où chaque mouvement des uns et des autres était parfaitement identifiable. Lise avait un petit étage avec salle de bain pour elle seule. Xavier dormait juste en dessous, la tête à quelques centimètres des pieds de sa tante et de son oncle, séparés qu’ils étaient d’une fine paroi en placo-plâtre.

Le repas avec les parents se passa dans le silence jusqu’à ce que la mère de Lise n’harangue son mari :

– Explique un peu à ta fille ce que c’est que du golf naturiste.

Son père ferma les yeux en soupirant. La mère avala son verre de rouge et continua :

– Pourquoi pas de l’équitation aussi, hein ?!

Xavier utilisa l’instant de silence précédent la tempête pour s’imaginer Lise nue sur un cheval, mais le père chassa l’apparition :

– Pourquoi tu prends toujours quelqu’un à partie pour me faire tes reproches. Pourquoi tu m’adresses pas la parole de la journée, et d’un coup tu fous la merde comme ça !

– Ah mais oui ! fit la mère, évidemment tu vas retourner ça en procès contre moi. Ce s’ra pas le procès du groupe des p’tites putes sans maillots qui défilaient dans leur voiture de golf ! Ça non !

Xavier observait Lise en coin qui surveillait l’horloge au-dessus de la porte d’entrée.

Le visage de sa cousine brillait d’une demi-teinte toute emprunte d’impressionnisme : pointillisme de rousseur sur les joues, pastel des lèvres et ses yeux vert émeraude rehaussaient les teintes ternes de sa chemisette verte foncé.

Elle termina son assiette en vitesse, quitta la table sans cérémonie et monta dans sa chambre. Le bungalow fut plongé dans le silence quand les parents s’enfermèrent chacun dans leur tablette numérique, Xavier débarrassa la table avant d’aller lui-même dans sa chambre.

Il s’allongea et écouta le silence qui se réinventait après chaque craquement, sifflement de vent et chaise qui grince. Son imagination lui apporta Lise sur un plateau, le maillot entre ouvert, conduisant une voiturette de golf, des chevaux tout autour ; dans le ciel, le visage de son oncle se dessina dans un ouragan de sable, sévère et buriné, s’émaciant jusqu’à l’essentiel : des yeux rouges, une bouche comme un coup de poignard dans la joue. Il chassa le visage de son oncle pour accueillir celui de Lise, dont les traits fins glissaient, coulant lentement vers sa poitrine découpée par un bronzage radical, des dunes roses, des vagues de lait, des lèvres malhabiles dont les baisers explosent comme éclosent les fleurs sauvages. Il sentait une érection se déployer. Il sentait qu’il lui faudrait s’en occuper sans tarder, il y avait déjà plus d’une semaine qu’il était chaste.

Tomber amoureux était inenvisageable : doucereux de l’absence d’amour réciproque, hors sujet pour tout chrétien qui se respecterait un temps soit peu, et génétiquement mal apprécié par la communauté ; il se contenterait alors de laisser son imagination faire le travail, et laisserait planer le doute quant à un accès à un hypothétique paradis.

Au dehors, des bourrasques se chassaient et se remplaçaient. Les pins se réveillaient et sifflaient les nappes aiguës d’une nuit qui tardait à s’installer totalement. Sa fenêtre donnait sur un chemin en terre battue partiellement éclairé par des lampadaires aux néons blancs de supermarché.

Quelques bruits de pas à l’étage tirèrent Xavier d’une torpeur forcée : la fenêtre de Lise semblait s’ouvrir très lentement. Il éteignit sa lampe de chevet, plongeant la chambre dans un noir quasi-total, illuminée de rares leds d’appareils électroniques. Il s’assit sur son lit, regardant par la fenêtre les pieds chaussés de Lise qui prenaient maladroitement appui sur le rebord en bois. Le visage de Lise apparut lentement et fouilla la chambre du regard. Xavier nourrissait le maigre espoir que Lise tapa à sa fenêtre pour l’inviter à l’accompagner – il savait parfaitement où elle se rendait – mais elle termina sa descente et détala silencieusement.

Xavier sentait son cœur battre d’un rare force ; il fut rapidement envahi par le regret tenace d’avoir éteint sa lumière… par couardise, probablement. Peut-être ne l’avait-elle pas vu dans l’obscurité, peut-être n’avait-elle pas osé le réveiller…

La ritournelle sifflée par les pins se figea dans un bourdonnement lointain, et Xavier laissa sa frustration s’éteindre avec elle.

­

­LA SUITE AU PROCHAIN EPISODE

Vous aimez ? Commentez !

Code de sécurité * Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.