Les érections ep 1/6

By 30 mars 2020Nouvelles

Il avait vécu ses plus belles années au bord de la mer. Une enfance choyée par une mère aimante, des amitiés joyeuses et un soleil fidèlement accroché.

Et si tout a basculé ce n’est pas à cause des multiples déménagements, ou d’avoir du quitter systématiquement ses amis, ni de l’absence injustifiée de son père ou encore ses mauvaises notes. N’importe quel préadolescent aurait pu passer par là. Si tout a basculé c’est à cause d’une malformation interne qui n’attendait que l’adolescence pour se manifester.

Depuis des années Xavier vivait dans un appartement de trentenaire passablement propre. Son salon semblait se mansarder, les murs sombres et recouverts d’une moquette emmagasinaient les odeurs tandis que plinthes et trumeaux étaient engorgés de moisissure. Le canapé, drapé d’un velours vert foncé, était assez grand pour accueillir deux personnes. Allongées. De nombreuses étagères striaient les murs. Il y stockait un nombre incalculable de broutilles, toutes et toujours en modèles similaires, comme une collection. Fourchettes et couteaux par centaines, tubes de colle, des dizaines de brosses à dents, et autant de télécommandes. Si aucun visiteur ne pouvait comprendre ce type d’amoncellement, lui ne faisait pas ça par choix. Il y était contraint.

A l’âge de 6 ans, Xavier a senti son sexe s’allonger de manière significative. Comme un gosse qui ne sait rien de la chose sexuelle, il n’a pas osé en parler à ses parents, honteux qu’il était d’un dysfonctionnement au niveau de cette partie qu’il s’agit de cacher dès le plus jeune âge.

Chaque fois que cela s’est reproduit, il a essayé de dissimuler cette déformation. Mais ce que Xavier ne savait pas, c’est que son problème était plus conséquent que pour ses camarades du même âge. Au départ, ça semblait n’être que physiologique : jusqu’à ses 10 ans, son sexe s’allongea de plusieurs centimètres, atteignant rapidement les 10 centimètres au repos ; mais il ne paniqua pas. Après tout, à l’école, on parlait de plus en plus de cette zone-là ; des vidéos commençaient à apparaître sur les téléphones des uns et des autres, et manifestement la taille pouvait s’avérer conséquente. Xavier pensa simplement qu’il en avait une plus longue que les autres. Il lui fallut un certain temps avant de savoir comment enrayer le problème des érections. Les vidéos qu’ils regardaient ne duraient jamais bien longtemps et il n’avait pas bien saisi la mécanique sexuelle. Un jour qu’il rentrait de l’école, l’esprit encore garni des images d’un homme en train de répandre sur le visage d’une jeune femme à lunettes un liquide épais, il se masturba pour la première fois. Difficilement, à deux mains. Le résultat : un liquide translucide et une révélation sensorielle unique. Il venait de découvrir une porte dérobée dans le long couloir de sa psyché en plein développement pornographique.

Avec cette date anniversaire, un élément nouveau fit son apparition, comme une douleur intestinale. Et le principe de péché devait alors prendre tout son sens.

Comme un préado normal, Xavier voulait des trucs de préado : du téléphone portable à la paire d’Adidas, ce genre de choses, rien d’exceptionnel, mais trop chères pour sa mère.

Pour comprendre l’origine des douleurs de Xavier, il faut se rappeler la frustration de n’avoir pas ce qu’on veut quand l’âge est aux apparences, quand la forme d’un cartable à lui seul vous enferme dans le clan des gros nazes… et Xavier souffrait, et il en voulait à sa mère. Et parfois il en avait mal au ventre. Parfois il sentait quelque chose en train de pousser, de remuer ses os, comme si une longue constipation se transformait en pierre.


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Il allait avoir 12 ans, et Xavier vivait sa scolarité sans éclats, dans une moyenne étudiée et consensuelle. La fois où il ressentit de la manière la plus violente cette douleur aiguë, quelque part entre les intestins, l’appendice et la vessie, il était en sixième, en plein contrôle d’histoire géo, et il avait besoin d’un effaceur. Pour son tout premier contrôle au collège, il ne savait pas s’il pouvait ou non demander quoi que ce soit à qui que ce soit. La douleur le prit alors violemment, comme un coup de poignard, et il sentit son sexe le travailler d’une manière inhabituelle : comme une érection, mais qui se manifestait à l’intérieur de son ventre. Pris de panique il se leva et sortit sans rien dire, faisant des gestes à son prof qui furent traduits par tous comme une diarrhée incontrôlable.

Il se dirigea vers les toilettes et la douleur se tut en quelques secondes.

Fin de l’épisode.

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Retour à la trentaine. Xavier vivait seul, et il avait appris à gérer ses crises intestino-érectionnelles. Grand et maigre, cheveux en passe d’être mi-longs, il avait le visage émacié et les pommettes saillantes, une barbe naissante qu’il n’avait pas besoin d’entretenir et une pomme d’Adam proéminente, il affichait les cicatrices d’une acné mal soignée sur les joues.

A son grand malheur, il était encore puceau. Et ce n’était pas faute d’avoir été amoureux, ou quelque chose d’approchant. Seulement, le désir sexuel s’était systématiquement traduit par une érection disproportionnée, impossible à accueillir pour un corps féminin, et il avait simplement appris à accepter qu’il mourrait vierge. Tout au plus aurait-il pu avoir une relation avec un grand animal, une jument ou une vache, mais cette idée déviante lui filait la nausée. Pour autant, si c’était là le seul problème, encore aurait-il pu s’en accommoder. Il y a bien des moines ou autres lamas tibétains qui ne se seront jamais servis de leur sexe que pour pisser. Vie monacale dans la frustration. Mais une fois encore, là ne s’arrêtaient pas les ennuis.

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L’appartement de Xavier était organisé de manière à ce que chaque besoin de base soit assouvi en quelques secondes. Le canapé était entouré d’une table basse en L avec plusieurs télécommandes, ustensiles de cuisine et couverts en tous genres, et d’une étagère qu’il avait décollée du mur et rapprochée à portée de main, remplie d’accessoires de toilette, de bouteilles de tous les sodas imaginables et de bières de tous les pays. Tout ce qui pourrait éventuellement lui faire envie. En face de lui, une télévision et une autre table basse. A sa gauche, deux petites poubelles pleines.

Sa chambre s’ouvrait sur un amas d’objets qu’il avait lui-même créés accidentellement : des centaines de brosses à dent, de télécommandes, de bouteilles… une vingtaine de parapluies tenaient en équilibre à l’entrée.

Ces amoncellements auraient fait dire à n’importe quel visiteur que Xavier agissait en dangereux sociopathe, ou quelque chose d’approchant, mais il avait su maintenir à distance toute relation sociale.

Politiquement, Xavier était très exactement cette personne que les gouvernements successifs chargeaient de toutes les tares : il regardait la télé à longueur de journée, n’avait pas de travail, vivait des aides sociales. Il regardait un peu tout ce que les chaînes numériques pouvaient lui offrir. S’il avait une petite préférence pour les films de kung-fu, ceux de bastons à gros flingues des années 80 / 90 pouvaient le tenir éveillé durant des nuits entières. Révulsé par la télé-réalité, il aimait néanmoins jeter un œil aux émissions d’Incroyables Talents. Lui aussi pourrait très bien débarquer sur scène, penser très fort à un objet et… sauf qu’il se ferait directement enfermer dans une sorte de laboratoire, avant d’être logiquement disséqué.

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­La première fois que Xavier avait laissé son anatomie terminer le processus de reproduction, c’était lors d’une sortie avec deux de ses potes, au cours de laquelle ils avaient croisé Lucie, pour qui Xavier avait un coup de cœur grandissant. Lucie était ce genre de fille parfaitement insoupçonnable mais qui avait une avance manifeste sur les jeunes de son âge. Fringuée en vierge effarouchée, précoce et développée, éduquée mais grossière, elle laissait paraître un intérêt timide pour Xavier.

Lucie était accompagnée de Kylian, un type à la mauvaise réputation. Tous avaient entre 13 et 14 ans, sauf Kylian, qui du haut de ses 18 ans avait déjà fait quelques tours en centre de rééducation pour agression au couteau. C’était une fin d’après-midi automnale baignée de l’ombre des platanes disséminés sur la plus grande avenue de leur petite ville. Les copains de Xavier fumaient une de leurs premières cigarettes, et il n’aurait pas fallu bien longtemps encore avant que Xavier lui-même ne commence à fumer « pour de vrai ». Fin stratège, il transportait toujours un paquet plein, au cas où une fille lui demanderait une clope.

Alors que Lucie et Kylian s’approchaient, Xavier fut pris d’une sensation ambiguë, quelque part entre la peur émotionnelle et la peur physique. Ses deux potes firent quelques pas en arrière et filèrent dans la rue adjacente. Kylian accéléra et prit Xavier au col. Plus grand que lui, il le souleva jusqu’à ce qu’il fût sur la pointe des pieds. Ils étaient collés et Xavier eut soudain mal à l’estomac. Kylian, les yeux injectés de sang, disait tout bas des trucs que Xavier ne saisissait pas tant il était effrayé. Lucie essaya de calmer Kylian.

– Laisse-le, il est gentil.

Kylian resserra sa prise.

– Alors quoi t’es gentil, p’tit pédé. Ça va pas être difficile de t’dépouiller alors.

Kylian sortit un couteau, Xavier allait pleurer.

– Qu’est-ce que t’as à m’offrir ?

Xavier ressentit une violente pointe au niveau des intestins qui se transforma instantanément en douleur dans la bite, comme si un rasoir lui sortait de l’urètre. N’en pouvant plus, il poussa un cri, qui se perdit dans le cri de Kylian. Le niveau de douleur de Xavier redescendit rapidement et Kylian recula de quelques pas.

– Fils de pute tu m’as planté..

Kylian voulu se jeter sur Xavier, mais il vacilla et perdit l’équilibre. Une lame sans manche était enfoncée dans le haut de sa cuisse. Kylian empoigna la lame et la retira. Son pantalon se macula de sang. Lucie fit quelques pas en arrière, fouillant la scène d’un regard paniqué. Kylian bredouilla des bouts de phrases et tomba sur le cul.

Xavier voulait partir en courant, mais ses jambes ne répondaient plus.

Lucie sortit son téléphone pour appeler les secours. Elle respirait vite, faisant ce qu’elle pouvait pour garder son calme, et lança à Xavier :

– Tire-toi vite, j’dirais c’est un type qu’j’avais jamais vu.

Kylian, recherché pour une autre agression, fut soigné en prison.

Lucie, qui n’avait rien dû saisir à la situation, ne questionna jamais Xavier à propos de la lame.

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­­Atteignant l’âge adulte, Xavier, qui n’avait jamais supporté un emploi plus de quelques jours, avait travaillé comme surveillant de parc, comme poissonnier durant un début de saison en bord de mer ; mais un dérapage anatomique l’empêchant systématiquement d’aller au bout de ses journées, il avait totalement arrêté d’essayer.

Avec les années, il avait su réguler très légèrement le rapport besoin / production : si, adolescent, quelques secondes à peine suffisaient pour que ses besoins lui sortent douloureusement de la bite, adulte il parvenait à contrôler ses émotions et parfois faire reculer la production de 10 à 15 secondes, suffisantes pour trouver une excuse lui permettant de déserter illico.

Il avait finalement choisi de ne plus se confronter au monde du travail, et rapidement au monde tout court. Les aides sociales lui permettaient de profiter d’une vie d’inadapté, se satisfaisant de peu, mangeant des produits de mauvaise qualité, et jouissant pourtant d’une paix essentielle au bon déroulement de sa vie privée.

Mais l’âge d’or ne dura pas. 2018 fut l’année où il ne fut plus du tout possible de toucher ces aides au-delà de trois refus d’un emploi proposé par le gouvernement. Ce système était plus ou moins dans les clous depuis bon nombre d’années, mais une loi vint durcir ce que certains prenaient pour un profit hors-propos dans une société ultra-libérale. Xavier se pencha sincèrement sur les trois propositions, toutes en lien avec le dernier emploi qu’il avait tenu : vendeur dans un magasin de tissus. Naturellement on lui proposait l’impossible. Même si rien dépassant la taille initiale de son sexe ne pouvait sortir de lui – avec une douloureuse marge de manœuvre, travailler dans n’importe quel magasin serait un enfer difficilement imaginable. Reste que les propositions étaient toutes trois ingérables. La première : vendeur dans un grand magasin automobile ; visualiser toutes ces clés de 12 et autres essuie-glaces lui donna des sueurs froides. Ensuite, il refusa catégoriquement le poste de caissier en supermarché. Tout pouvait arriver. Il choisit d’attendre la troisième et dernière proposition, qui arriva bien assez vite. Il y réfléchit un jour ou deux mais ne pouvait s’y résoudre : on lui proposait un poste dans une papeterie, pas immense, mais avec tout ce qu’une papeterie peut contenir : crayons, règles, tubes de colle, compas. Le cauchemar. Envisageable, pourtant, si les stocks étaient parfaitement tenus ; et si Xavier agissait à toute vitesse, servant les clients sans même que son cerveau ne s’en rende compte. Il lui faudrait connaitre le magasin dans ses moindres recoins dès le premier jour.

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­Il savait qu’il n’y avait pas de bonne solution : soit il retravaillait au minimum quatre mois et s’en tirait avec quatre mois de chômage, soit on lui coupait les vivres.

Xavier choisi, naturellement à contrecœur, de tenter le coup.

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­LA SUITE AU PROCHAIN EPISODE

Join the discussion 2 réactions

  • Kevin p dit :

    Salut Damien, alors tu es word addict ? Je viens de lire avec intérêt ce premier épisode, et automatiquement, tu m’a projeté a Pézenas, Montagnac, Béziers, ces platanes, ce bord de mer populaire et beauf, cette adolescence dans le 34, pétrifié de timidité. Bravo à toi, d’ailleurs le gardien de parc du Tabor, ça sent le vécu…quel fou rire j’ai eu avec ce personnage de Kylian, ce cassos bien typique qui redouble 3 fois sa sixième. Je vais lire le prochain épisode.
    Bonne continuation et bon confinement.

  • Damien Stein dit :

    Merci Kevin !!
    C’est précisément Pézenas pour la partie adolescence 🙂
    Le reste c’est un mélange de Montpellier et Rennes.
    Hâte de connaître ton avis sur la suite !
    A très vite

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