Dans le taxi (nouvelle) – 2011

By 31 mai 2014Nouvelles

Dans le taxi prennent place deux noirs bien rasés, en chemise à manches longues, manifestement fiers de leur état. Ils ouvrent grand la porte et s’embrochent derrière moi comme deux balles de fusil prêtes à exploser. Ni merde ni bonsoir, ils annoncent une rue chaude d’un quartier assez déconseillable. Je fais pas toujours ces courses là, mais je suis loin d’avoir bouclé mon quotas nuit.

Un genoux s’enfonce dans mon siège sous lequel je glisse discrètement la main, pour m’assurer que mon colt se balade pas trop.

Je leur adresse pas la parole non plus, et mets mon cligno avant de m’enfoncer dans la circulation paracétamolée de la ville.

Dans le rétroviseur, les deux noirs, mouillés par la pluie qui démarre, parlent d’un vernaculaire silencieux. Je les comprends pas, et me demande d’où ils peuvent bien venir. Même si, quelque part, j’en ai pas mal rien à foutre.

Nous roulons depuis 15 minutes, la circulation est fluide, la nuit tombe. Chaque spot, chaque phare, chaque enseigne se reflète sur le bitume. Le centre ville est tentaculaire, ses immeubles clignotants commencent à absorber les salariés, courbés sous le poids des goûtes.

Les pubs se ressemblent, comme mes nuits se chassent. Toujours les mêmes produits, toujours les mêmes accroches.

On passe d’un quartier des affaires à un autre, plus populaire. Certains trottoirs en finissent avec la balade des cœurs solitaires : ceux-là même qui vont offrir leur salaire à des mini jupes sous parapluie. J’en ai connu quelques unes de ces mini jupes. Et, comme moi, elles doivent avoir les genoux qui craquent et les hanches qui grincent, à force de lever les pattes sous la pression de l’accélérateur, et de recevoir des coups de frein, héhéhé.

Derrière, ils reluquent le même trottoir que moi, mais eux semblent guetter les plus jeunes. De leur dialecte, je pense bien qu’j’parviens à extraire des mots, qui m’poussent à croire qu’ils vont s’en envoyer une fraîchement dépucelée. Bande d’animals.

On est aux 2/3 du trajet et ils s’excitent à nouveau. Ils me font un signe de la main, du haut vers le bas. J’ralentis, et m’arrête devant un groupe de filles talonnées. Je r’connais, à proximité, à son allure et à sa façon de regarder alentours, le mac de ces d’moiselles. Il lui manque que le chapeau à plume. Je m’étonne d’ailleurs qu’il les laisse pétasser d’la sorte. On est pas de l’autre côté de la frontière que Diable.

Mes deux noirs ouvrent la vitre et alpaguent donc des putes. Ils sifflent pour commencer et font des gestes de « viens par là », un peu au hasard en direction du groupe.

Ah les cons.

Alors je me retourne et grogne :

Je suis pas un baisodrome, on va là où vous disiez, ou vous descendez !

Mais eux m’écoutent à peine. Une pépé s’approche, suivie d’une autre.

Y a de la viande pour nous par ici ? dit la première.

Le noir côté trottoir éclate de rire et répond :

De la grasse et épaisse ma belle.

Putain ! je fais, donc vous m’avez compris : vous descendez et vous payez la course ou je vous troue la peau du cul, bande de nègres. Les mots sortaient tous seuls, comme finalement libérés du cycle des insultes fascistes trop longtemps retenues.

Le noir côté route me pousse la tête du bout des doigts :

D’où tu parles mal pigeon ?!

Quoi ? Je fais quoi ? Tu me touches pas, enculé !

Je commence à me retourner. Du monde a l’air de s’intéresser à nous, même le mac fait quelques pas dans notre direction. J’insiste :

Vous payez ce que vous devez négros de merde.

Le noir du trottoir referme la portière et se met le plus debout possible pour m’empoigner au col, mais je m’esquive et tente enfin d’attraper mon colt. L’un des deux semble comprendre mon dessein et m’attrape par les cheveux, ce qui me met en rogne. Je grince, postillonne, aperçois à peine les silhouettes tout autour. Je me contorsionne et fais passer le flingue par dessus mon épaule, et presse la gâchette plusieurs fois d’affilée. La prise de mes cheveux ne lâche pas, et je sens même une pression beaucoup plus forte, comme si il était suspendu dans le vide avec pour seule prise ma tignasse. Le noir du trottoir est déjà hors du taxi quand un homme blanc passe la tête par la vitre.

Virez le de là, je lui hurle les yeux piquants de larmes. Y va me scalper l’ sauvage.

L’homme ouvre la portière et agrippe le noir qui me tient toujours.

On dirait qu’il est mort, il fait. Ouais ! La prise se relâche.

Je vois des visages déformés par les vitres gouttelées partout autour de mon taxi, et me retourne à genoux sur mon siège. Le noir côté route a la pommette droite enfoncée dans le crâne, et des bouillons en sortent, épais et aléatoires, coulant le long de son menton imberbe.

Alors je commence à me plaindre, à expliquer, à justifier, mais l’homme blanc m’arrête et me dit :

Pas d’inquiétude, on a vu, c’était légitime défense. Je témoignerai !

Le pare brise arrière est à changer, les sièges arrières sont à changer, mon siège avant gauche à nettoyer.

Putaiiiiin ! je fais doucement, en appuyant ma tête sur le volant.

L’homme blanc ressort du taxi et fait le tour pour m’aider à sortir. Je regarde droit devant, puis un coup d’œil dans le rétroviseur : il fait en effet le tour, approche de ma portière. Il ouvre un parapluie, agrippe ma poignée, mais je ne bouge pas et ne débloque pas la sécurité anti-braquage dont je ne démords pas.

Il presse et tire la poignée avant de toquer à ma vitre. Il parle, mais je n’entends aucune consonne. Côté passager, une autre personne tente d’intégrer mon taxi. MON taxi bordel. Tant que je suis là c’est moi qu’ait les pleins pouvoirs. C’est moi qui décide si j’l’ai tué ou pas ! Et j’l’ai pas tué. C’est lui qui s’est tué tout seul. Et il a plutôt raté l’autre négro ! Bon à rien… Il avait pourtant cette responsabilité : j’lui avait offert la possibilité d’racheter sa déplorable race africaine en la renvoyant parmi les vers de terre, là où il aurait gagné le droit de ne plus vivre, avec d’autres noirs en situation irrégulière, et de reposer légitimement parmi les blancs. Offrir au Noir la même place qu’un Blanc, c’est pas sympa ça ?!

La porte arrière s’ouvre à nouveau. Le son de la rue m’arrive avant un courant d’air humide ; des « Monsieur » et des bruits de pas mouillés résonnent dans l’habitacle ; des « ouvrez la portière » et des sons de tissus agrippés, de sac à viande à manche longue tirés le long de la banquette en cuir grincent…

Le moteur tourne toujours. Je ne m’en rends compte qu’à l’instant même. Je pourrais parfaitement tailler bavette avec le je-ne-sais-qui en chef du commissariat, ou mieux, ou pire, mais je préfère amplement tailler la route. Et je quitte le point mort de mon taxi qui roule désormais, porte ouverte, le cadavre à l’air.

Dans mon rétroviseur, des calepins se noircissent de ma plaque, et un mec lâche le cadavre qui traîne au sol. « C’est pour vous aider » qu’ils me font.

Alors bon, je prends l’temps de penser à tout ça… Et en somme je suis cuit.

Je ralentis, on me klaxonne, je ne sais même pas si je risque une peine.

J’ai fait 30 mètres en première, le cadavre dégoulinant ; je fais un arrêt en plein milieu de la rue. Les voitures me contournent au ralenti, et des flashs, putain ! commencent à crépiter. Et ce connard de blanc qui n’a pas été foutu de sortir ce connard de noir. Pourquoi ? Parce que le noir avait mi sa ceinture.

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